- ALTERNANCE DE PHASES
- ALTERNANCE DE PHASESLa reproduction sexuée dépend, chez tous les êtres vivants, de la formation de cellules particulières qu’on appelle gamètes . Le noyau de ceux-ci ne possède qu’une série de chromosomes, symbolisée par n , ce qui caractérise un état dit haploïde .La fécondation , en réunissant un gamète mâle et un gamète femelle, produit la cellule œuf ou zygote , qui assemble dans son noyau deux séries de n chromosomes. On symbolise par 2 n cet état que l’on qualifie de diploïde .Ensuite se produira le retour à l’état haploïde grâce à deux divisions nucléaires successives constituant la méiose. Le passage de la formule chromosomique 2 n à la formule n se nomme réduction chromatique .Chez les animaux et certaines algues, la prolifération du zygote donne un organisme totalement diploïde. Parvenu à l’âge adulte, il produit les gamètes qui sont les seules cellules haploïdes. Le cycle de développement (fig. 1) est «monophasique diploïde», et ces êtres vivants sont monogénétiques diploïdes ou encore, improprement, «diplobiontiques».Lorsque, par contraste, et c’est le cas chez de nombreuses espèces d’algues et de champignons, le zygote subit d’emblée la méiose (fig. 2), quatre cellules haploïdes, les tétraspores ou mieux méiospores, se forment. En proliférant, chacune donne naissance à un organisme, haploïde comme elle, qui, à l’état adulte, produira des gamètes. Ces végétaux sont dits «monogénétiques haploïdes» ou, improprement, «haplobiontiques». Leur cycle de développement (fig. 2) est monophasique haploïde.Ces deux premières catégories d’êtres vivants (monophasiques) présentent donc des successions de générations (soit diploïdes, soit haploïdes), dont chacune est initiée soit par un zygote, soit par une méiospore.Chez la majorité des espèces végétales, au contraire, le développement de chaque plante implique la prolifération successive de cellules diploïdes issues de la germination du zygote et de cellules haploïdes dérivant d’une méiospore. On qualifie donc de «diphasique» (synonyme de «digénétique» ou, improprement, «haplo-diplobiontique») le cycle de développement (fig. 3) de ces plantes qui fait obligatoirement alterner deux organismes: l’un diploïde, produit, à maturité, des méiospores et mérite donc le nom de sporophyte , l’autre, haploïde, élabore les gamètes et, de ce fait, est appelé gamétophyte . Cet enchaînement de deux organismes, qui diffèrent essentiellement l’un de l’autre par le nombre (double ou simple) des chromosomes de leurs noyaux cellulaires, a reçu le nom d’alternance de phases , ou encore alternance de générations , expression moins heureuse à notre avis.Après avoir étudié un exemple concret, nous verrons comment le déroulement des deux phases présente des modalités variées, en étroit rapport avec le degré d’évolution des végétaux. On sera ainsi amené à l’examen des interprétations par lesquelles on essaie d’expliquer ce rythme si général de la vie des plantes.1. Cycle de développement d’une mousse: le polytricLes mousses sont des plantes dont la phase gamétophytique haploïde est de beaucoup la plus développée, mais dont la phase sporophytique diploïde atteint couramment 1 ou 2 cm. Suivons, chez le polytric, qui est une mousse commune dans nos bois, le développement biologique, également qualifié l’ontogénique, car il concerne l’individu. Une méiospore, dont le noyau contient 7 chromosomes, germe en produisant d’abord un filament ramifié, rampant, formé de cellules chlorophylliennes et ressemblant beaucoup à une algue verte. Puis, sur ces filaments, se forment des axes dressés portant de petites feuilles et, à leur sommet, des organes reproducteurs soit mâles (anthéridies), soit femelles (archégones) suivant le sexe du gamétophyte. À la base de ces tiges feuillées, des poils absorbants contribuent à la fixation de la plante au sol et à son approvisionnement en eau et sels minéraux dissous. Après la fécondation, consistant essentiellement en l’apport des 7 chromosomes d’un spermatozoïde au sein du noyau femelle qui en contient autant, le zygote se développe sur place en un organisme diploïde, le sporophyte, dont toutes les cellules contiennent des noyaux à 14 chromosomes. Le sporophyte vit en épiphyte sur le gamétophyte, un peu comme du gui sur un peuplier, avec cette différence qu’il s’agit, chez le polytric, d’organismes appartenant à la même espèce. Le sporophyte comporte un pied, ou suçoir, qui l’implante dans le gamétophyte, une tige, ou soie, dépourvue de feuilles et un renflement terminal, ou capsule, qui, à maturité, devient le sporange formant et dispersant les méiospores. L’épiderme du sporophyte manifeste, par rapport à celui du gamétophyte, le progrès qui consiste en l’existence de stomates. On constate ainsi qu’au cours de son développement ontogénique (ou individuel) une mousse revit de grandes étapes de sa phylogenèse: les premiers stades sous forme de filaments ramifiés rappellent ses lointains ancêtres, les algues vertes; puis, l’organisation devient celle de vrais cormophytes ou plantes à tiges; plus tard encore, les sporophytes édifient des stomates.C’est dans la capsule sporange que certaines cellules, les sporocystes ou cellules mères, dont l’ensemble constitue le tissu sporogène, subissent la méiose, produisant chacune 4 méiospores de forme tétraédrique. Chez le polytric, ces méiospores sont unisexuées, c’est-à-dire qu’après avoir été disséminées, elles germent en produisant soit des gamétophytes femelles uniquement porteurs d’archégones, soit des gamétophytes mâles n’édifiant que des anthéridies: on dit que ces organismes haploïdes sont dioïques (étymologiquement, «deux habitats», c’est-à-dire un pour chaque sexe). Le sporophyte, qui forme autant de méiospores femelles que de mâles, est donc bisexué ou monoïque (un seul habitat pour les deux sexes). Dans d’autres genres et espèces de mousses, tels que l’Hypnum rutabulum , les gamétophytes sont également monoïques, puisque le même organisme haploïde porte à la fois les archégones et les anthéridies.2. Alternance de phases dans le monde végétalChez les archégoniatesOn regroupe sous le terme d’archégoniates toute les plantes chez lesquelles le gamète femelle est protégé dans un archégone. Par ordre de complexité d’organisation croissante, les archégoniates comprennent: les bryophytes (mousses, hépatiques et anthocérotes), les ptéridophytes (fougères, prêles, sélaginelles, isoètes...), les préspermaphytes ou plantes à ovules (cycadales et ginkgo) et les spermaphytes ou plantes à graines (gymnospermes et angiospermes). On a la conviction que les archégoniates constituent un seul vaste phylum, ou lignée évolutive, ayant pris son origine parmi les algues vertes, et les modalités selon lesquelles les phases haploïdes et diploïdes alternent sont un excellent critère d’appréciation du degré d’évolution. Plus les plantes appartenant à ce phylum sont hautement organisées et récemment apparues, plus leurs gamétophytes ont de chances d’être, d’une part unisexués, d’autre part réduits à un plus petit nombre de cellules: les fougères et les prêles ont encore des gamétophytes monoïques (ou bisexués), tandis qu’ils sont dioïques chez les sélaginelles, isoètes, préspermaphytes et spermaphytes. Dans ces deux dernières divisions, les gamétophytes mâles, appelés « grains de pollen», ne comportent qu’une anthéridie et ils sont dispersés par le sporophyte qui les a produits. Le gamétophyte femelle, au contraire, n’est pas libéré par le sporange (alors appelé «nucelle») où la méiose a formé la méiospore qui est à son origine .Le volume du gamétophyte femelle varie beaucoup; il ne comporte plus, selon les espèces, que 16 à 4 cellules qui constituent le «sac embryonnaire». Dans l’espèce Tulipa sylvestris , ces 4 cellules sont même les 4 méiospores femelles. La disproportion entre le développement des phases diploïde et haploïde est telle que, chez les plantes supérieures, c’est toujours aux premières seules que l’on donne un nom d’espèce, en disant, par exemple, que telle espèce d’angiosperme (2 n ) produit un pollen (n mâle ) abondant. À l’inverse, en disant que telle espèce de mousse (n ) fructifie au mois de février, on signale que des gamétophytes produisent des sporophytes. Par ailleurs, un degré ultime de l’évolution sexuelle est atteint lorsque la diécie gagne jusqu’aux sporophytes (par exemple, chez les ifs, les saules, les palmiers).Chez les algues rougesSignalons le cas particulier des algues rouges, dont le cycle biologique comporte trois phases successives (fig. 4): sur le gamétophyte haploïde, une première phase diploïde, issue du zygote, reste greffée et disperse des spores directes (non méiotiques) qui, elles, germent en produisant un méiosporophyte indépendant: il s’agit alors d’algues aux noyaux cellulaires diploïdes dont certains subissent la méiose; les méiospores formées germent à leur tour en de nouvelles algues gamétophytes.Chez les basidiomycètesChez les champignons basidiomycètes, les gamétophytes sont représentés par des filaments ramifiés et rampants, constituant des «mycéliums primaires». La fécondation se réalise en deux temps très nettement séparés, car la mise en présence des noyaux haploïdes gamétiques mâle et femelle n’est pas suivie de leur fusion immédiate en un noyau zygote diploïde. Ces deux noyaux de sexes différents, et leurs descendants résultant de mitoses successives, cohabitent dans les cellules, appelées pour cela «dicaryons»; l’ensemble forme des filaments «secondaires» dressés, enchevêtrés, anastomosés, constituant un feutrage organisé en un «carpophore». Ce dernier, généralement formé d’un pied et d’un chapeau, est ce qu’on appelle communément «un champignon». La caryogamie, ou fusion des noyaux sexuels, ne se réalise qu’à l’intérieur d’ampoules terminales («basides»), situées sous le chapeau au niveau des lamelles (chez les agarics) ou des pores (chez les bolets). Le noyau diploïde ainsi formé subit aussitôt une méiose à la suite de laquelle, très généralement, 4 méiospores, alors appelées «basidiospores», sont émises à la surface de chaque baside.3. Alternance de phases et évolutionDeux théories, désormais classiques, ont été proposées pour interpréter l’évolution des cycles biologiques végétaux. D’après la théorie de l’intercalement, les plantes les plus primitives seraient monophasiques haploïdes (fig. 2) et, la méiose étant ensuite de plus en plus différée et ne se réalisant qu’après une multiplication mitotique diploïde de plus en plus prolongée, un organisme sporophytique se serait progressivement intercalé entre la phase haploïde lui ayant donné naissance et celle qu’il produit lui-même après méiose. Les spirogyres et de nombreuses autres espèces d’algues et de champignons, dont le zygote subit d’emblée la méiose, présenteraient alors les cycles les plus archaïques; parmi les bryophytes, les mousses au sporophyte pourvu d’une soie seraient plus évoluées à cet égard que les hépatiques au sporophyte plus réduit. Chez les ptéridophytes, l’importance relative des phases haploïde et diploïde est inversée par rapport à ce qu’elle était chez les bryophytes; et, chez les plantes ovulées, on assiste à un allègement progressif des phases haploïdes mâle et femelle, pouvant même aller, chez la tulipe sylvestre, jusqu’à ce que la phase haploïde femelle ne soit plus représentée que par les méiospores.D’après la théorie de la modification, les cycles biologiques les plus primitifs seraient diphasiques isomorphes (fig. 3) c’est-à-dire à phases haploïde et diploïde incarnées par des organismes morphologiquement semblables; progressivement, la phase diploïde, préférentiellement modifiée, aurait acquis un plus grand développement tandis que la phase haploïde régressait. S’il en est ainsi, des algues telles que les ulves ou les cladophores auraient un cycle biologique du modèle de celui des algues constituant la souche des archégoniates. La ressemblance entre la tige gamétophytique d’une mousse et la soie du sporophyte, de même que celle qui existe entre les représentants des phases haploïdes et ceux, à l’état jeune, des phases diploïdes de certaines ptéridophytes (Psilotum , Hymenophyllum ) témoigneraient en faveur d’une isomorphie ancestrale.Ces deux théories, si différentes l’une de l’autre, ont tout de même ce point commun d’accorder une importance déterminante aux phénomènes nucléaires que sont la caryogamie et la méiose. Plusieurs considérations enlèvent cependant beaucoup de crédit à l’efficacité originelle qu’auraient ces doublements et réductions de moitié du nombre des chromosomes: les algues monophasiques diploïdes (Codiacées, Fucacées, par exemple) ne sont pas mieux organisées que les monophasiques haploïdes (Chætophoracées, Characées, par exemple); l’aspect morphologique des sporophytes d’angiospermes haploïdes ou tétraploïdes obtenus expérimentalement ne diffère guère de celui des formes diploïdes normales. Certaines algues et certains champignons peuvent adopter successivement, au cours d’un développement ontogénique dépourvu de caryogamie et de méiose, toutes les caractéristiques morphologiques qui accompagnent le cycle biologique normal d’espèces voisines. Les mousses passent de l’état de filaments ramifiés et rampant à celui de tiges feuillées dressées sans modification chromosomique; et il en est de même pour les sporophytes de diverses spermaphytes qui traversent des «formes de jeunesse» avant d’atteindre l’état adulte... On peut donc se demander si les phénomènes nucléaires affectant le nombre des chromosomes ne seraient pas venus coïncider avec certaines modifications morphologiques apparues spontanément, caryogamie et méiose ponctuant, encore peu rigoureusement parfois (chez les basidiomycètes, par exemple), un cycle aux phases déjà morphologiquement articulées.
Encyclopédie Universelle. 2012.